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Par Tyron29 le 20 Avril 2016 à 18:42
Une reconstitution en résine et polyuréthane de la mythique bête du Gévaudan, qui sévit dans cette région de Lozère entre 1764 et 1767, réalisée à partir d'images et de témoignages du XVIIIe siècle, a été présentée à Paris lundi par le journaliste Jean-Claude Bourret, auteur d'un ouvrage sur le sujet.
La légendaire bête du Gévaudan reconstituée grandeur nature
Une reconstitution en résine et polyuréthane de la mythique bête du Gévaudan, qui sévit dans cette région de Lozère entre 1764 et 1767, réalisée à partir d'images et de témoignages du XVIIIe siècle, a été présentée à Paris lundi par le journaliste Jean-Claude Bourret, auteur d'un ouvrage sur le sujet.
L'énigne de la bête du Gévaudan résolue! par Alsace20Une centaine de victimes
"C'est une première mondiale. Personne n'a eu l'idée en 250 ans de reconstituer la bête, en reprenant les dimensions mesurées par les deux chirurgiens qui, le 20 juin 1767, ont fait son autopsie", a déclaré au Press Club de France Jean-Claude Bourret, ancien présentateur des journaux télévisés de TF1 et auteur d'un ouvrage avec Julien Grycan sur le sujet paru en 2010 (Editions du Signe).
La bête, qui aurait tué une centaine de personnes entre 1764 et 1767, est entourée de légendes : était-elle un Lion, une hyène ou bien un homme déguisé en loup ? Le rapport d'autopsie établi après qu'elle fut abattue en 1767 par Jean Chastel, un chasseur local, donne ses mensurations exactes. Elle avait des pattes "très puissantes", un pelage brun "avec une raie noire sur le dos", "des dents conséquentes" et "une immense langue de 37,8 cm", selon Jean-Claude Bourret.
L'animal a déjà fait l'objet de nombreux ouvrages. Il a été le sujet de l'émission télévisée "Tribunal de l'impossible" en 1967 et du film de Christopher Gans "Le Pacte des loups" (2001).
Traces de sang
"La bête est certainement un croisement entre un chien de combat descendant des légions romaines, avec une grande tache en forme de coeur qui est tout à fait caractéristique, et un loup", estime le journaliste, auteur du livre en deux tomes "Le secret de la bête du Gévaudan" (2010).
La reconstitution montre l'animal en posture d'attaque, avec des traces de sang sur ses crocs : "On retrouve bien ses yeux rouges, qui faisaient peur aux témoins de l'époque", dit-il. Les récits de 70 paysans du XVIIIe siècle, qui ont survécu à ses attaques, ont également servi à élaborer la sculpture.
Celle-ci a nécessité le travail d'une trentaine d'artisans (sculpteurs, taxidermistes, moulistes...) et coûté plus de 150.000 euros.
Elle pourrait revenir à un musée, selon Guy Gilbertas, chef d'entreprise passionné par la légende, à l'origine de cette reconstitution. "On a envie de l'utiliser pour dynamiser la région de l'ancien Gévaudan", indique-t-il.
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Par Tyron29 le 2 Mars 2013 à 09:38
LA FANTASTIQUE BÊTE DU GEVAUDAN
Par François de Sarre, zoologiste
Le roi de France en avait fait une affaire personnelle. Cela faisait déjà quelque temps qu’une Bête mystérieuse semait la terreur en Gévaudan. Louis XV avait envoyé sur place ses chasseurs les plus adroits, mais peine perdue… Ceux-ci n’abattirent que quelques loups. Les souverains des pays voisins commençaient à se faire des gorges chaudes à propos de cet animal qui défiait les meilleurs fusils de France !
On était dans une période creuse de l’histoire, après la Guerre de Sept Ans : il ne se passait pas grand-chose dans le monde, et les gazettes, tant en France qu’à l’étranger, remplissaient leurs pages avec cette histoire de « Bête du Gévaudan ». Toute l’Europe était donc au courant, et l’on se gaussait de l’incapacité du pouvoir royal français à résoudre ce problème…
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LES PREMIERES VICTIMES
L’étrange affaire de la « Bête du Gévaudan » commence en 1764, alors que Louis XV, surnommé le Bien-aimé, règne sur la France. Situons d’abord le lieu de l’action. Le Gévaudan correspond à l’actuel département de la Lozère, et à une partie de la Haute-Loire. Pendant trois ans, la « Bête » va terroriser les habitants du Gévaudan et des régions limitrophes. Le bilan officiel de ses méfaits se chiffre à plus de cent morts et à une trentaine de blessés « rescapés ». La plupart du temps, c’étaient des femmes ou des enfants de moins de 16 ans, bergères et bergers.
Quelle pouvait être l’identité zoologique de l’animal ?
Certes, il y avait à cette époque beaucoup de loups dans ces régions, certains très gros, mais en règle générale, ils n’attaquaient pas l’homme. Pour découvrir l’identité du prédateur, il nous faut d’abord passer en revue les témoignages des témoins ou des rescapés, puis essayer de reconstituer le « portrait-robot » de la Bête, de façon à le comparer avec les canidés et autres fauves connus. En juin 1764, une vachère de Langogne, en Vivarais, qui garde son troupeau va être attaquée en plein jour par ce qui ressemble à un très gros loup. La Bête tente de se jeter sur la jeune femme qui sera finalement sauvée par ses vaches, celles-ci formant un rempart de leurs cornes et de leurs corps. Quant aux chiens, ils se contentent de gémir lamentablement et restent prostrés dans leur coin, apparemment terrorisés par l’apparition !
La jeune femme s’en sort avec des vêtements déchirés et de nombreuses égratignures. Elle peut donner une description de l’animal qui l’a agressée. Il ressemble à un loup, mais possède une tête plus grosse et beaucoup plus allongée. Autre caractéristique intéressante, il y a une raie noire sur le dos, les flancs sont roux, la queue est épaisse et touffue. La vachère parle « d’un animal de la grandeur d’un veau, avec un poitrail fort large, la tête et le col fort gros, les oreilles courtes et droites, le museau comme celui d’un lévrier, la gueule noire et deux dents très longues qui lui sortent des deux côtés de la gueule ». Autre détail très instructif, la jeune femme indique que la Bête « se déplace par bonds allant jusqu’à neuf mètres ».
Trois semaines plus tard, à une douzaine de kilomètres de là, une autre femme, Jeanne Boulet, eut moins de chance. On découvrira son cadavre non loin du troupeau, à moitié dévoré (foie, intestins et viscères). Le 1er juillet 1764, l’acte de sépulture sur le registre de la paroisse de Saint-Etienne de Lugdares, en Vivarais, précise que Jeanne Boulet avait été tuée par la « Bête féroce ». Car il y avait déjà eu plusieurs victimes, depuis le mois de mars 1764, dans les monts du Vivarais, proche du Gévaudan : des jeunes filles, mais aussi un garçon de quinze ans qui gardait son troupeau. Les descriptions des témoins qui avaient assisté de loin aux scènes macabres, rejoignent ce qu’a déclaré la vachère de Langogne. En fait, la « Bête » n’a qu’une vague ressemblance avec un loup…
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UN FAUVE INCONNU ?
Si ce n’est pas un gros loup, de quel animal pouvait-il s’agir ? En tout état de cause, la Bête poursuit ses méfaits. Elle va même jusqu’à agresser une femme de trente-six ans qui était à l’ouvrage dans son jardin, au hameau des Estrets, dans l’Aubrac. Des témoins sont attirés par le bruit. La Bête avait planté ses crocs dans la gorge de la pauvre femme et commençait à boire son sang avant de la dévorer. Elle finit par s’enfuir, mais il était déjà trop tard pour sauver la paysanne. Dans une autre circonstance, où la Bête avait tué une petite fille et lui avait dévoré le ventre, des traces furent trouvées près d’un ruisseau. D’après le rapport, elles ressemblent à celles d’un loup, mais le talon est plus marqué, les griffes bien visibles, ce qui n’est pas le cas d’empreintes de loups ou de chiens, qui ne disposent que « d’ongles ».
En octobre 1764, d’autres bergers et bergères sont attaqués dans le Gévaudan. Les enfants cherchent à se défendre et à se protéger en confectionnant des « baïonnettes », en l’occurrence des couteaux fixés à l’extrémité d’une tige de bois. En tout cas, la Bête n’est pas un être surnaturel puisqu’elle lâche prise si on lui plante de telles armes dans le flanc. Les témoignages recueillis se ressemblent : on évoque toujours un « animal de la taille d’un veau, avec des oreilles pointues, une tête énorme et effilée, des mâchoires colossales, et une queue longue et touffue, sans cesse en mouvement ». Bien sûr, la rumeur enfle, elle va parvenir aux oreilles de Louis XV qui dépêchera sur place ses meilleurs fusils. De nombreux loups sont tués ; une fois la Bête semble avoir été atteinte de plusieurs balles. Mais ce n’est pas suffisant, car de nouvelles bergères vont devenir ses proies dans les semaines qui suivent.
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LE GEVAUDAN EN EMOI
Pendant les mois d’octobre et de novembre, de nombreuses battues sont organisées. Les habitants cherchent à se protéger des attaques de la Bête : les hommes s’arment de fourches ou de haches, les femmes et les enfants restent à l’abri des maisons et ne se risquent plus dans les champs. Le roi accepte d’envoyer des troupes armées dans la région. Ainsi, le 3 novembre 1764, le capitaine Duhamel arrive à la tête de 57 dragons, dont dix-sept cavaliers. La Bête avait déjà fait plus de vingt victimes. D’autres particularités anatomiques viennent s’ajouter à celles déjà énumérées. On dit que l’animal est bien plus haut qu’un loup, et que ses pattes sont armées de véritables griffes, tel un lion. Ses dents sont si tranchantes que la Bête peut séparer la tête du corps, comme le ferait un sabre bien affûté…
Pour ce qui est de son comportement, plusieurs points importants sont à noter : la Bête s’approche de sa proie en rampant, ventre à terre, comme le ferait un gros félin. Puis elle se dresse soudain sur ses pattes de derrière (!) avant de fendre sur sa victime, qu’elle prend au cou par derrière, ou par la tête. Ce ne sont pas les habitudes d’un loup ou d’un gros chien ! Le 22 décembre, le capitaine Duhamel voit la Bête, fait feu et la manque. Il peut la voir suffisamment longtemps pour en faire une bonne description : « De la taille d’un jeune taureau d’un an, elle a des pattes aussi fortes que celles d’un ours, et des yeux de la grosseur de ceux d’un veau ».
Pour le capitaine des dragons, il s’agit d’un hybride, le croisement de deux fauves. « La Bête est un monstre dont le père est un lion », écrit-il en substance. Quelques mois plus tard, le monstre sévit toujours. Dès soldats qui l’ont approché, sans parvenir à le tuer, le décrivent comme « aussi gros que les plus gros chiens connus, fort velu, de couleur brune, ventre fauve, tête très grosse, deux dents très longues sortant de la gueule, oreilles courtes et droites, queue forte et touffue qu’il relève en courant ». En janvier et février 1765, de grandes battues sont organisées dans le Gévaudan, le Vivarais et le Rouergue. Le roi offre 12.000 livres à celui qui abattra la Bête. Mais devant le manque de résultats, il annulera la mission du capitaine Duhamel. Ce fut un Normand, Martin Denneval, grand louvetier de France, qui fut alors désigné pour traquer l’animal. Il réussit à tuer quelques loups de grande taille, mais les massacres continuent. Le 16 avril, la Bête s’en prend même à un homme à cheval qui ne parvient à l’éloigner qu’en la piquant de sa baïonnette.
Le 1er mai au soir, des nobles du Gévaudan, les frères Martel de la Chaumette, aperçoivent près de Saint-Chély le monstre en train d’épier un berger. Ils sont armés de fusils et tirent. La Bête est atteinte au cou, mais réussit à s’enfuir. Les frères décrivirent ainsi l’animal : « aussi gros qu’un veau d’un an, avec un museau pointu et allongé, des oreilles plus petites que celles d’un loup, une gueule énorme et une raie noire sur le dos ».
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L’HECATOMBE CONTINUE
A la place de Denneval, Louis XV envoie son porte-arquebuse François Antoine, considéré comme le meilleur fusil du royaume. Les résultats furent encore décevants, malgré les nombreuses battues (monopolisant parfois jusqu’à trente mille personnes, surtout des paysans) « sus à la Bête qui mangeait le monde ». Le 11 août 1765, la Bête attaque Marie-Jeanne Vallet, servante du curé de Paulhac, en se dressant sur ses membres postérieurs. Sans perdre son sang-froid, la jeune femme lui allonge un coup de baïonnette en plein poitrail. La Bête pousse un cri déchirant et porte l’une de ses pattes antérieures à sa blessure, ce qui est un comportement assez inhabituel pour un quadrupède ! Il faut attendre le 20 septembre pour qu’un grand loup soit abattu par le porte-arquebuse François Antoine. Après les échecs successifs de Duhamel et de Denneval, le nouvel arrivant n’a plus le droit à l’échec : il en allait de l’honneur du roi !
L’animal fut naturalisé et envoyé comme trophée à Versailles. Pour Louis XV et la Cour, l’affaire était close. Mais dans le Gévaudan, les attaques reprirent en décembre 1765. Les autorités se désintéressent de l’affaire, d’autant qu’il n’y eut « que » six morts en 1766. On pensa à d’autres gros loups… Puis les exactions se poursuivirent au cours des six premiers mois de l’année 1767 (on dénombra dix-huit victimes), plus précisément jusqu’au 19 juin.
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LA FIN DE LA BÊTE
La « Malebête », comme on l’appelait aussi, fut finalement tuée par Jean Chastel, dans des circonstances sur lesquelles nous reviendrons. Auparavant, il y eut un évènement marquant. L’animal qui avait tué plus de cent personnes et en avait blessé ou mutilé une quarantaine s’en prit, le 16 mai 1767, à une fillette de douze ans, Marie Denty. Jean Chastel s’était pris d’affection pour cette enfant, et se considérait un peu comme son grand-père. Apprenant le malheur qui venait d’arriver, il aurait prononcé cette phrase : « Bête, tu n’en mangeras plus ! »
Certains historiens comme Hugues Ménatory pensent qu’en s’attaquant à la petite Marie Denty, la Bête avait signé son arrêt de mort…Cela voudrait-il dire que l’animal féroce était « téléguidé » par l’homme ? Ce n’est pas si simple, même si beaucoup d’auteurs ont pris fait et cause pour cette hypothèse, mettant en scène un hybride entre loup et chienne, dressé à se nourrir de chair humaine, ou bien un animal exotique, telle la hyène. Toujours est-il que le 19 juin 1767, au cours d’une traque dans les bois de la Ténazeyre, sur le mont Mouchet, en bordure des départements actuels de la Haute-Loire et de la Lozère, Jean Chastel, cabaretier dans un village voisin et chasseur à ses heures abat la « Bête féroce ». D’après ce qu’on dit, il avait fait bénir la balle qui tua l’animal. Selon le constat du chirurgien Antoine Boulanger, celle-ci lui a percé le cou, coupé la trachée artère et brisé l’épaule gauche. Comme lors d’un exercice de tir, la Bête présentait son poitrail à l’homme qui la mettait en joue. Celui-ci était-il également son maître ?
Stèle dédiée à Jean Chastel (1708-1789).
Jean Chastel ne fut guère récompensé de son acte. Il apporta la dépouille à Versailles où son odeur incommoda tellement le roi Louis XV qu’il la fit enterrer sur le champ, sans daigner attribuer la moindre prime au chasseur. Heureusement, des rapports d’autopsies existent.
La Bête examinée par le Dr Boulanger n’était pas gigantesque. Elle mesurait 1,8 m du nez à l’extrémité de la queue ; sa hauteur au garrot était de 78 cm, et son poids de 55 kg. Elle était de sexe mâle ; la couleur du pelage était à dominance rougeâtre, les yeux possédaient une membrane nictitante (comme beaucoup de canidés), mais surtout les côtes étaient disposées de façon telle qu’elles permettaient à l’animal de se retourner aisément, ce qui n’est pas le cas des côtes chez les loups, qui sont disposées obliquement. Mais surtout la tête était monstrueuse, l’ouverture de la gueule mesurait près de 20 cm, la mâchoire était longue de 16 cm. Les pattes étaient armées de gros ongles, bien plus longs que ceux des loups ou des chiens. Non seulement nous savons que l’animal abattu par Jean Chastel possédait 42 dents, mais nous avons aussi le détail de la formule dentaire, consignée par procès-verbal :
6 incisives, 2 canines et 12 prémolaires et molaires dans la mâchoire supérieure ; 6 incisives, 2 canines et 14 prémolaires et molaires dans la mâchoire inférieure ce qui fait un total de 42 dents. Chez les mammifères carnassiers, la denture présente un nombre variable de dents et permet souvent de déterminer l’espèce.
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IDENTIFICATION DE LA BÊTE
Tout d’abord, nous avons le choix entre 2 options principales :
a- L’animal sauvage anthropophage (mangeur d’hommes).
b- L’animal dressé pour tuer.
Une troisième catégorie comprend d’éventuels « tueurs humains » qui auraient profité de l’occasion pour accomplir leurs sévices, en portant des masques bestiaux et mettant leurs actes sur le dos de la Bête. Un auteur comme Jean-Jacques Barloy (Les Survivants de l’Ombre, 1985) a également noté que les régions à majorité protestante de la Lozère semblaient avoir été épargnées.
-Hypothèse de la Hyène tachetée-
On a prétendu qu’Antoine, fils de Jean Chastel (l’homme qui tua la Bête) avait ramené d’Afrique une hyène qu’il avait dressée pour tuer. Effectivement, j’ai moi-même observé de tels animaux en différentes réserves sud-africaines, ils sont très imposants, atteignant 80 kg. Ce sont d’ailleurs les femelles qui sont les plus agressives. Mais une grande hyène tachetée (Crocuta crocuta) a des oreilles rondes, un cou long, un garrot surélevé, alors que la « Bête » est décrite comme « ayant le col gros et extrêmement court, les jambes de devant assez basses ». En outre, la queue de la hyène est courte, ce qui ne correspond pas aux descriptions où il est dit qu’elle est « longue comme celle d’un cheval et fort touffue ». En plus, la formule dentaire indiquée dans le rapport d’autopsie ne permet pas de conclure à une hyène, laquelle n’a que 34 dents.
-Hypothèse du loup-
La denture du loup (ou du chien) comporte effectivement 42 dents, comme la bête abattue par Jean Chastel. Jean-Marc Moriceau, auteur d’un livre récent sur « La Bête du Gévaudan » est partisan de l’explication du « loup mangeur d’hommes ». Selon ce chercheur, on a actuellement une image plutôt angélique du loup, mais entre 2 à 3% des loups attaqueraient l’homme, ce qui paraît peu, mais au 17ème siècle, alors qu’il y avait près de 20.000 loups en France, cela signifie qu’il pouvait potentiellement y avoir plusieurs centaines de loups anthropophages sur l’ensemble du royaume. Il y aurait d’ailleurs eu dans le Gévaudan plusieurs bêtes, ce qui explique qu’on ait pu parler d’ubiquité, la Bête étant signalée le même jour en différents points distants. De tels loups solitaires et portés sur la chair humaine pouvaient s’attaquer à de jeunes bergères ou bergers qui gardaient les vaches à l’extérieur des fermes. Si les hivers sont doux, les troupeaux restent à l’extérieur. La Bête trouve ainsi facilement des victimes. Ce n’est pas la faim qui la pousse, mais plutôt une envie irrépressible de chair humaine, sans doute plus facile à déguster que celle des bovins protégée par un cuir coriace. Au cours d’un hiver rude, les loups chassent habituellement en meutes, et les éventuelles proies humaines sont plutôt dans les maisons qu’à l’extérieur. Moriceau remarque qu’en ces circonstances, on n’entend plus parler de la Bête.
D’autres auteurs, comme Michel Louis et Hugues Ménatory se sont, en revanche, fixés pour objectif de réhabiliter le loup. Le problème qui se pose est qu’il faut quand même trouver un coupable pour les nombreuses agressions.
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-Hypothèse de l’hybride chien/loup-
Parmi les victimes de la Bête, une quinzaine furent décapitées, leurs têtes tranchées comme avec un sabre, ce qui suggère une formidable puissance des mâchoires. Bien sûr, on peut aussi penser que les décapitations étaient l’œuvre de l’homme (Antoine Chastel ?) qui guidait la bête féroce… Pour Michel Louis, zoologiste et fondateur du parc animalier d’Amneville, la Bête résulterait du croisement d’un loup et d’une chienne : elle aurait été dressée à attaquer l’homme par Antoine Chastel, lui-même mandaté par un aristocrate dépravé de la région, le vicomte Jean-François-Charles de Morangiés. Comme l’écrit Robert Dumont, cela fait deux « sadiques » avant la lettre, car à l’époque le fameux marquis n’avait pas encore fait son entrée dans la littérature. Pour en revenir à Michel Louis et à son hypothèse de l’hybride (ou du gros chien de combat), une autre constatation vient à l’esprit : elle se rapporte au caractère invulnérable de la Bête qui essuie plusieurs coups de feu, ainsi que des coups portés à l’arme blanche, au point qu’on peut se demander si elle ne portait pas une cuirasse, lui protégeant le dos et les flancs. Cela n’a rien d’invraisemblable. Des chiens de guerre portant une telle « armure » existaient effectivement depuis l’Antiquité.
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-Hypothèse de l’ours, du babouin et du grand félin-
On a également parlé d’animaux comme l’ours, ou le singe babouin. Concernant le premier, les descriptions des témoins ou rescapés ne collent pas vraiment avec l’image que l’on se fait d’un ours, animal bien connu dans l’imagerie populaire, même au fin fond du Gévaudan, à défaut d’exister encore dans la région. Mais un ours hiverne, alors que la Bête sévissait pendant la mauvaise saison. Un babouin de grande taille pouvait avoir été dressé pour tuer, mais son aspect l’aurait fait reconnaître comme tel. De plus, la formule dentaire de l’animal abattu par Chastel n’est pas celle d’un singe, lequel a 4 incisives en haut et 4 en bas, 32 dents au total, comme l’homme. On se souvient néanmoins de témoignages où la Bête est décrite, marchant ou bondissant sur ses pattes de derrière, quasi bipède, ce qui peut faire penser à un grand singe cynocéphale. L’hypothèse du grand félin se heurte également au problème de la denture, car les félidés n’ont que 28 ou 30 dents. En revanche, il y a des similitudes dans le comportement, la façon de s’approcher d’une proie en rampant, la manière de la tuer en enfonçant les crocs dans la nuque.
-Hypothèse de l’animal inconnu de la science-
Comme disait Bernard Heuvelmans, père de la Cryptozoologie, paraphrasant le détective Sherlock Holmes imaginé par Sir Arthur Conan Doyle : « Quand on a éliminé toutes les hypothèses après les avoir soigneusement étudiées, et qu’il n’en reste qu’une, même la plus improbable de toutes, eh bien, c’est bien celle-là qui est la bonne, aussi incroyable que cela puisse paraître ! »
Dans le cas de la « Bête du Gévaudan », une fois que l’on a examiné l’ensemble des rapports, en éliminant les épisodes où l’acteur du drame semble avoir été un humain aux intentions perverses, ou un loup solitaire anthropophage, et si l’on tient compte à la fois des nombreuses descriptions et de l’autopsie pratiquée sur la Bête après qu’elle eut été tuée par Chastel (ce qui mit fin au carnage), il ne reste qu’une alternative : l’animal inconnu de la science. Les cryptozoologues Christophe Beaulieu, Pascal Cazottes et Robert Dumont se sont déjà saisis du dossier, et sont arrivés à des conclusions fort intéressantes. Résumons un peu l’aspect et le comportement de la « Bête » : elle a la taille et la corpulence d’un veau d’un an, ce qui est loin d’en faire un « monstre » ; contrairement à un loup, elle a une tête qualifiée d’énorme, une longue queue touffue, des griffes aux pattes ; elle se tapit, rampe, fait des bonds de plusieurs mètres et saisit sa proie à la nuque, comme le ferait un grand félin ; elle est même capable de se dresser sur ses pattes de derrière et de faire quelques pas en position bipède, comme le ferait un ours ; elle peut ouvrir toute grande sa gueule, jusqu’à y faire rentrer une tête humaine, puis elle peut séparer la tête du tronc avec ses dents puissantes, broyant aisément les cervicales ; elle possède une troisième paupière « nictitante » bien apparente, et des côtes permettant une grande souplesse du corps ; elle a été vue seule, la plupart du temps, mais un rapport mentionne une « seconde bête » plus petite ; son don supposé « d’ubiquité » laisse penser qu’il y avait plusieurs Bêtes, au même moment et dans la même région ; la « Bête principale » a pu être dressée par Jean Chastel et ses fils dans le but de tuer.
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-Un animal venu de la Préhistoire ?-
Bien sûr, tous les animaux actuels- et notamment les grands fauves carnassiers- ont eu des ancêtres au cours des périodes géologiques passées, en ce sens la « Bête du Gévaudan » ne présente aucune originalité. La seule différence, c’est que les autres animaux sont connus et répertoriés par la Zoologie : loups, chiens, hyènes, ours, grands félins, gloutons, que sais-je encore ? C’est pourquoi il est tout à fait normal de les étudier dans un premier temps, en tentant un rapprochement avec l’animal inconnu qui a terrorisé le Gévaudan entre 1764 et 1767. Si cette démarche n’aboutit pas, on est bien forcé d’explorer d’autres pistes.
Il y a celle de l’hybride loup-chien, déjà évoquée, qui met en scène un animal puissant et très agressif. Mené par un maître sans scrupules, il est capable de terroriser une région entière, mais n’en reste pas moins un canidé facilement identifiable comme tel. Idem pour l’hybride (zoologiquement peu plausible) entre un loup et une hyène. Quant à la chimère qui serait constituée par le croisement bien improbable entre un loup (ou un chien) et un grand félin, ce serait sans doute une excellente explication, même si elle n’expliquerait pas tout (et notamment la grosse tête). Mais une chimère reste une chimère et ne saurait exister que dans l’imagination d’un observateur peu versé en mammalogie, comme le capitaine Duhamel qui affirmait que la « Bête est un monstre dont le père est un lion ».
En revanche, l’animal inconnu de la science, reflétant cette morphologie, a toute plausibilité. Ce ne serait pas si extraordinaire que cela : on a bien découvert, au 20ème siècle, des animaux aussi étonnants que l’Okapi, le Gorille des Montagnes, le Coelacanthe, le requin Megamouth ou la chèvre Sao-La, pour ne citer que les plus grands par leur taille. Et puis, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que la Bête du Gévaudan n’était pas un cas unique : il y avait d’autres « Bêtes Dévorantes », comme on les nommait à l’époque, dans le royaume de France, et pour la plupart, ce n’étaient certainement pas des loups ! La Bête de l’Auxerrois (où Bête de Trucy) et autres « Bêtes Dévorantes », dans un chapitre intitulé « Les Sœurs de la Bête », Pascal Cazottes ne cite pas moins de quinze cas de Bêtes mystérieuses, s’échelonnant en France sur plus de deux siècles (de 1606 à 1817). On pourrait sans doute faire une recherche similaire dans les autres pays d’Europe. Tous ces animaux sanguinaires ont sporadiquement semé la terreur auprès des populations. Prédateurs solitaires ou grégaires, ils se livraient sans retenue à l’anthropophagie.
Bien sûr, certaines de ces bêtes ont pu être de gros loups, mais on trouve aussi de troublantes similitudes anatomiques ou comportementales avec la Bête du Gévaudan. Pour n’en citer que quelques unes, il y a eu :
En 1632/1633 la « Bête du Calvados » (30 personnes tuées).
En 1655 les « Bêtes du Gâtinais » (300 personnes tuées).
En 1669 la « Bête de la forêt de Fontainebleau » (150 personnes tuées).
En 1693/1694 la « Bête du Benais » (72 personnes tuées).
Et entre 1731 et 1734, la « Bête de l’Auxerrois (ou de Trucy) » (28 personnes tuées).
Ces animaux, quels qu’ils fussent, avaient un penchant immodéré pour la chair humaine- sans pour autant avoir été dressées pour ce faire. L’homme constituait une nourriture de base, ce qui est quand même assez rare en Zoologie. Bien sûr, l’on pense aux grands félins « mangeurs d’hommes », lions ou tigres, qui après avoir goûté une fois à la chair humaine, se détournent d’autres formes de « gibier ». On pense aussi à la proportion (2%) de loups anthropophages, estimée par Jean-Marc Moriceau. Aux 17ème et 18ème siècles, la France semble avoir été parcourue par différentes « Bêtes Dévorantes », s’attaquant surtout aux bergères et bergers. A part la fameuse « Bête des Vosges » entre 1967 et 1988, sans doute une grosse louve, ces animaux mystérieux semblent avoir maintenant déserté l’Europe. Qu’elles aient autrefois existé n’aurait finalement rien d’extraordinaire. Aux époques historiques, on pouvait encore trouver des lions ou des panthères, en Grèce et dans les Balkans, sans oublier les ours, les loups et les lynx, un peu partout en Europe.
A la fin du Moyen-Âge, la France était encore recouverte de grandes zones de forêts pratiquement inhabitées, et les régions montagneuses étaient également très peu peuplées. Des animaux totalement inconnus de la science ont très bien pu s’y maintenir assez longtemps. A l’heure actuelle, il y a encore quelques « Bêtes effrayantes » dans le monde, dont la systématique n’est pas du tout élucidée, je veux parler de « l’ours Nandi » (qui n’est très certainement pas un ours) réputé pour sa férocité, tout comme le Waheela canadien. On les appelle des « cryptides », non répertoriés par la science officielle, mais dont Bernard Heuvelmans a dressé en 1986 une liste non exhaustive : sa fameuse « Chcklist of Unknown Animals ».
Représentation d’un artiste du « Waheela » canadien.
Le Waheela aurait l’aspect d’un grand loup, en bien plus costaud, il possède une grosse tête large, de grandes pattes et une épaisse fourrure blanche. Les Amérindiens de l’Alaska et des Territoires du Nord-Ouest canadien disent qu’il a des mœurs solitaires, et qu’il tue les gens en leur tranchant la tête. Le naturaliste américain d’origine suédoise, Ivan Sanderson, avait enquêté sur le Waheela qui vivrait encore en des zones difficiles d’accès, dans les environs du Parc National de Nahanni, au Canada. Il paraît que là-bas, des découvertes macabres seraient à l’origine de noms très suggestifs, comme Headless Valley, Broken Skull River ou Deadmen’s Valley, à cause de la découverte de prospecteurs morts dévorés, dont le crâne avait été retrouvé un peu plus loin. Rappelons-nous que la « Bête du Gévaudan » avait parfois pour habitude de séparer la tête du corps et de l’emporter à quelques distances.
Dans son ouvrage « In Search of PrehistoricSurvivors » (Blankford books, Londres 1995), le zoologiste anglais Karl Shuker évoque l’hypothèse d’un descendant du groupe de carnivores préhistoriques (Miocène et Oligocène) des Amphicyonidés. La couleur différente des pelages (blanc dans un cas, plutôt roux dans l’autre) pourrait s’expliquer par les différentes conditions de vie et de climat, comme cela existe aussi chez les loups (blancs, gris, roux). L’Hemicyon du Miocène, auquel pense le cryptozoologue français Pascal Cazottes, était un « chien-ours » qui présentait des caractéristiques physiques que l’on retrouve chez la Bête. On peut penser que le Waheela, comme les « Bêtes Dévorantes » d’Europe, sont de proches parents de ce « chien-ours », peut-être plus plantigrades (ce qui expliquerait la faculté de se mettre quasiment debout, sur de courtes distances), plus proches de l’ours (grosse tête !), mais doués de l’agilité d’un félin et de la vélocité d’un canidé.
Représentation numérique de l’Hemicyon
En somme, l’hypothèse d’un hybride évoquée un peu plus haut est fausse, mais si l’on remonte dans la phylogénie des espèces actuelles, on trouve des animaux dont l’aspect, la physiologie et le comportement se rapprochent tout à fait de l’idée que l’on se fait de la Bête ! De plus, des restes fossiles d’Hemicyon ont été récoltés sur des sites de fouilles paléontologiques en France, en Espagne et au Portugal. Sa survivance depuis l’ère Tertiaire ne serait finalement guère plus surprenante que celle des grands carnivores actuels. Si l’animal est devenu fort rare actuellement en Europe (d’où il a vraisemblablement disparu), et un peu moins dans le Grand Nord canadien (où il est possible qu’il survive), c’est sans doute dû aux mêmes aléas qui ont mené bien d’autres espèces animales à leur extinction : épidémies (épizooties), changements climatiques, raréfactions des proies, problèmes génétiques et stérilité. On estime qu’une espèce vivante s’éteint en 5 à 10 millions d’années. L’espèce à laquelle appartenait la Bête du Gévaudan, que nous nommerons par commodité Hemicyon spec., arrivait tout bonnement en fin de parcours…
C’est là du moins une hypothèse qui a le mérite d’être zoologiquement plausible. Néanmoins, il subsiste encore beaucoup de mystères autour de la fantastique Bête du Gévaudan, et le dossier n’est pas encore prêt d’être refermé…
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Source- Mondes Etranges n° 4, juillet 2009
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-BIBLIOGRAPHIE-
BEAULIEU, Christophe : « Les Bêtes Dévorantes de France »- Tau*Ceti n°40, juin 1997.
Cazottes, Pascal : « La Bête du Gévaudan, enfin démasquée ? »- Ed. Trois Spirales, La Motte d’Aigues, 2004.
CHEVALLEY, Abel : « La Bête du Gévaudan »- Ed. « J’ai Lu », 1972.
CUBIZOLLES, Pierre : « Loups-garous en Gévaudan, le martyre des innocents »- Ed. Watel Brioude, 1995.
FABRE François & Jean RICHARD : « La Bête du Gévaudan »- De Borée, Clermont-Ferrand, 2001.
LOUIS, Michel : « La Bête du Gévaudan, l’innocence des loups »- Perrin Tempus, Paris 2003.
MENATORY, Hugues : « La Bête du Gévaudan »- Ed. Loubatières, 1987.
MORICEAU, Jean-Marc : « La Bête du Gévaudan »- Larousse, 2008.
OULION, Roger : « La Bête du Gévaudan »- Ed. du Roure, 2006.
POURCHER, Pierre : « Histoire de la Bête du Gévaudan »- 1889, réédition : Jeanne Laffite, Marseille, 2006.
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-Liens-
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Chastel
http://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%AAte_de_l%E2%80%99Auxerrois
http://betedugevaudan.canalblog.com/tag/Moriceau
http://cryptozoo.pagesperso-orange.fr/dossiers/devorant.htm
http://touraine-insolite.xooit.com/t101-Betes-Feroces-de-France.htm
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